Le vent de l’Ouest, comme certains analystes le considèrent déjà n’est autre qu’un mouvement de révolte militaro-populaire pour marquer l’échec, peut-être définitif, de l’État colonial en Afrique. Nous pouvons peut-être même parler de la convulsion à la fois de la démocratie sous assistance internationale et même des autres politiques internationales d’aide au développement économique et sécuritaire. Une nouvelle tentative de révolte décoloniale menée par des forces endogènes dans des Etats qui, malheureusement n’ont qu’une existence constitutionnelle. Naturellement, un coup d’État est révélateur des crises multiples et multiformes que nous allons aborder.

1. Crise démocratique

L’absence de légitimité politique comme dans la plupart des États d’Afrique, est ointe du sceau de dictature électorale. La démocratie s’est davantage constitutionnalisée par le haut qu’elle ne s’est délégitimée par le bas. La légalité institutionnelle prend le dessus sur la souveraineté populaire. Les peuples ne se reconnaissent pas à ces gouvernements issus d’élections « sans le peuple », et pourtant légitimés par la communauté internationale. La rupture est réelle. Sinon comment comprendre que les civils célèbrent un gouvernement militaire ? Ou pire, (ré) acclame un coup d’État? Alors, comment comprendre que les putschistes puissent mobiliser autant de foules que ne peuvent drainer l’ensemble des partis politiques lors des campagnes électorales ?

À l’inverse, pourquoi les foules ou les partisans et électeurs des présidents déchus ne se mobilisent-ils pas, eux aussi, pour réclamer la libération du dirigeant « démocratiquement élu » ? C’est la manifestation de la crise de la démocratie électorale chez-nous. Les élections sont alors considérées comme une « béquille » pour maintenir l’illusion d’une souveraineté ou d’une légitimité démocratique à l’élite dirigeante. Comme la démocratie est l’expression souveraine d’un peuple, célébrer un coup d’État confère une certaine légitimité aux militaires, même si, le processus de dévolution du pouvoir est antidémocratique sur la base juridique. D’où le conflit philosophique actuel entre légalité démocratique et légitimité populaire qui divise les observateurs de la vie publique : Le prétorianisme avec ses fondements populaires (légitime?) contre la dictature électorale fondée sur des base constitutionnelles (légale?).

Toutefois, le déséquilibre entre les deux pôles opposés, comme semble l’emporter les politiques de verrouillage de toute expression populaire, et d’émancipation des dictatures électorales, est visiblement en train d’institutionnaliser des « démocraties prétoriennes » au Sahel, avec des incidences probables dans le golfe de Guinée et les Grands Lacs, étant donné que le Lac Tchad et l’Afrique centrale sont déjà dans le mouvement prétorien. Les autres pays de ces régions sont dans le mouvement inverse par les politiques de consolidation de la démocratie constitutionnelle à travers l’émasculation de tout contre-pouvoir.

Tant que les peuples se détournent des processus électoraux qui ne leur conviennent pas, ils ne s’identifieront malheureusement pas à ces gouvernements illégitimes auxquels ils tourneront par conséquent le dos face au premier démagogue venu, militaire soit-il. C’est une réalité, l’abstention dans tous ses contours structure les processus électoraux africains. Prenons l’exemple des dernières élections au Nigéria (qui est d’ailleurs présenté aujourd’hui par les bailleurs internationaux comme un modèle de la démocratie en Afrique) en février 2023. Sur une population estimée à 220 millions, nous avons 25 millions de votants sur 93 millions d’inscrits. Quelle légitimité revêt Bola Tinubu (réputé corrompu tout comme ses concurrents à la présidentielle) lorsqu’il est élu avec une majorité relative de 36 % des voix et avec moins de 9 millions d’électeurs qui ont voté pour lui ?

2. Crise institutionnelle des forces armées

Les nations stables ont su institutionnaliser leurs armées. Celles-ci constituent un pouvoir majeur au sein des autres institutions et jouissent d’une certaine autonomie stratégique sous le commandement civil. C’est pourquoi, dit-on, le président est le chef des armées. Il s’agit d’une relation de collaboration hiérarchisée et non de domination du politique sur le soldat. La plupart nations sont davantage des régimes militaires gouvernés par des civils: les États-Unis, Israël, la Russie, la Chine, la Turquie, l’Iran, le Nigeria, l’Égypte, l’Algérie, le Cameroun… l’armée étant un constituant non négligeable du pouvoir, mais, ayant des canaux d’expression institutionnalisés. On parle souvent de lobby. Ce ne sont donc pas des armées anarchiques caractérisées par le mercenarisme et la soif du pouvoir politique.

Un autre élément, cette fois-ci conjoncturelle, qui vient stimuler le goût du pouvoir politique à l’armée, est l’absence ou l’amenuisement des contre-pouvoirs organisés que sont les partis politiques et les organisations de la société civile. Lorsque l’électoralisme à émasculé toute force oppositionnelle, l’armée devient le seul corps constitué capable de déboulonner les « pouvoirs perpétuels » et ouvrir de nouvelles perspectives. C’est à partir de là qu’émerge un militaire avec un leadership fort, charismatique et enclin au messianisme. Cette situation prévaut dans de nombreux pays. Mais, dans de nombreux cas, l’indifférence politique de l’armée est constamment entretenue grâce à de nombreux avantages et autres contrebandes.

Une armée non professionnelle et mal entretenu, dominée ou mise à l’écart par le politique, dans un contexte de crise démocratique ou sociale, se politise. Et par conséquent, elle se prépare à gouverner.

3. Crise sécuritaire

Face aux défis sécuritaires, comme c’est le cas dans le sahel, les conflits naissent entre le professionnel politique et le professionnel de la défense et de la sécurité. Le politique s’inquiète pour son image et sa survie politique (respect des droits de l’homme, préservation des intérêts des partenaires internationaux, le rayonnement international, pression de l’opinion publique…), le militaire lui, il est face à un défi à régler, pense-t-il, facilement avec la gâchette. Combien de fois dans l’histoire l’armée n’a pas « pris ses responsabilités » parce que le politique n’étant pas à la hauteur des enjeux sécuritaires de la nation ?

Lorsque surgissent les mésententes entre le politique et le militaire sur les stratégies opérationnelles à adopter sur le terrain, ou lorsque l’armée est sous les ordres et constate l’échec des plans d’opérations militaires, la rupture est logique. Et si par hasard, les deux premières conditions chrysogènes sont réunies, comme c’est le cas au Niger et même dans beaucoup d’autres pays sur le continent, le coup d’État ou tentatives de coup d’État deviennent inévitables. Partout où la crise sécuritaire perdure sans une réponse militaire probante, les officiers remettent en question le plus haut commandement. L’ensemble des coups de force, de la Guinée au Tchad ont une justification sécuritaire.

4. la crise démographique

La population africaine est largement jeune et tout le monde le sait. La crise ici se trouve, non pas peut-être à sa quantité, mais à sa qualité mentale, qui se trouve en déphasage avec les gouvernements encore coincés dans les réseaux néocoloniaux. Cette jeunesse n’a connu ni la colonisation, ni la postcolonie, ni les processus de démocratisation des années 1990. Elle réclame la dignité parce que ayant une connaissance des enjeux du monde actuel. Elle est choquée par la double expression de l’universalisation des droits de l’homme par l’occident en particulier.

Il se trouve donc que, ni les dirigeants, ni les partenaires internationaux ne comprennent l’évolution mentale de cette nouvelle génération de jeunes, qui bien évidement va les pousser vers la porte de sortie. En dehors du cas nigérien, les autres coups de force au Sahel sont l’œuvre de jeunes officiers dont les schèmes mentaux correspondent à ceux des jeunes qui les soutiennent dans les rues. On peut y observer une certaine symbiose dans cette révolte et une sorte de solidarité entre ces jeunes (civils et militaires) des différents pays ayant connu le renversement des régimes « anciens ». Ceux qui ne vont pas chercher à comprendre comment pense cette jeunesse vont demeurer dans le passé.

5. La crise de l’aide au développement

Il est évident que l’aide internationale a davantage produit des effets pervers que positifs dans tous les domaines.
Depuis les indépendances l’aide économique et financière a-t-elle industrialisée le continent ? Mais nos États en sont devenus dépendants.
Depuis les années 1990 et les retours au multipartisme, l’Afrique est sous perfusion de l’aide à la gouvernance, à la démocratie et aux élections. Pour quel résultat aujourd’hui en terme de gouvernance, d’état de droit, d’élections démocratiques et incluses ?

Depuis les indépendances, puis, l’avènement du terrorisme dans les années 2000, la lutte contre ce phénomène par les grandes puissances est devenue un nouvel universalisme d’assistance militaire et de contrôle des régions stratégiques du monde. Le déploiement des forces étrangères, saluées par les populations est aujourd’hui déchanté par elles. Pourquoi ? En réalité, si la lutte internationale contre le terrorisme a pu préserver les régimes en place, le terrorisme s’est plutôt épanoui contre la vie des populations. Par conséquent, les appels au départ des forces étrangères devient légitime.

L’aide au développement, les présageait l’ancien fonctionnaire onusien, Tibor Mende, s’avère aujourd’hui une manifestation de la « recolonisation ». La révolte devient devient dès lors nécessaire si rien n’est fait.

La France aujourd’hui est davantage vomie. Elle accuse les russes et d’autres puissances émergentes. Mais, il semble important de noter que les malheurs de cette France proviennent davantage des ses alliés anglo-saxons (USA et RU) et israéliens qui se jouent d’elle et consolident leurs positions sur ses « anciennes terres ». Au Niger, les américains sont présents avec mille hommes, mais c’est le départ de la France qui est mis en avant.


6. la crise de la révolte

Il est certes que l’Afrique entre dans une nouvelle phase de son histoire, 60 ans après les indépendances et 30 ans après l’échec des transitions démocratiques ayant conduit l’installation des dictatures électorales sous la bénédiction occidentale.
Un nouveau cycle de 30 ans est déjà entamé par la troisième génération d’africains qui ne demande que de la dignité. Les démocratures qui ont produit des crises susmentionnées. Il est bien vrai que rien ne va arrêter cette révolte étant donné que les autres démocratures subsahariennes demeurent dans les logiques d’hyper constitutionnalisation de ce qu’ils appellent « démocratie », et ceci, avec la complicité passive de la « communauté internationale » qui continue à valider les élections antidémocratiques.

La crise de la révolte ici réside dans sa spontanéité. La spontanéité suppose que cette révolte n’est nullement un projet, c’est-à-dire qu’elle n’est pas pensée. Le risque est dès lors double. D’une part, l’absence d’une vision globale et claire des besoins vitaux des pays et l’incapacité d’y faire face avec l’assèchement de toutes les aides internationales. Ceci peut expliquer les difficultés dont font face les militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée. La conséquence à un moment donné sera la rupture avec les populations et les putshistes. Situation susceptible de conduire inévitablement soit un nouveau coup d’Etat, soit la structuration d’un nouveau régime autoritaire. D’autre part, la crise de la révolte peut, avec la pression occidentale et celle de ses alliées dans la région, dont le club de la CEDEAO (dont les chefs d’Etat sont des partisans et défenseurs des dictatures électorales ou des démocraties institutionnelles), enfermer ces révoltes militaro-populaires dans les batailles géopolitiques actuelles entre le vieux monde et le monde émergent. On le voit avec la présence des russes sur le terrain en remplacement de l’ancien ordre.

La crainte est alors de quitter d’une domination pour une autre, avec en font, la déstabilisation de la région par des conflits fratricides et par conséquent, priver cette révolte du chemin de l’autonomie stratégique tant recherchée depuis des siècles.

Perspectives

Cette troisième vague de décolonisation de l’Afrique, initiée de l’intérieur par la troisième génération est susceptible d’être longue et difficile, étant donné qu’elle nous conduit vers l’inconnu comme toute transition. Au mieux, vers la libération et l’autonomie totale du continent ; au pire, vers une nouvelle colonisation, qui, à y penser sera pire. Toutefois, l’optimisme dans ce vent de l’Ouest se trouve dans l’inconnu.

L’optimisme ici est de remettre l’existence de l’État actuel en débat. La culture de la palabre (ré) initiée dans les années 1990 à travers les Conférences nationales souveraines (CNS), doit de nouveau être convoquée et devenir le principal mécanisme de gestion de la gouvernance. L’anthropologie politique africaine d’antan doit être mise à jour. C’est notre porte d’entrée et d’affirmation dans le monde. C’est le devoir de notre génération et non celui de nos aînés.